et tout commence par une naissance.

naissance inattendue d'un gamin arrivé trop tôt dans leur vie ; perspectives d'avenir parties en fumée lorsque la jeune femme à peine sortie de son adolescence a malgré tout voulu le garder, promettant à celui qu'elle n'avait même pas encore épousé qu'ils seraient heureux à trois ; que tout irait bien tant qu'ils seraient ensemble.
mais les rêves semblent ne pas être faits pour se réaliser.
alors elle a laissé sa vie pour la donner à son fils, qui portera le prénom qu'elle a toujours voulu offrir à son enfant ; alors elle le confie à son amour pour qu'il s'en occupe. et il promet, l'enfoiré, il promet.

mais les promesses sont bleusaille.
les promesses ne se tiennent plus, de nos jours.

alors il a gardé l'enfant, oui. mais pour ce qui est de s'en occuper, on repassera.
jamais il n'a pu l'aimer, ce morpion qui lui a enlevé l'amour de sa vie ; ce rejeton qu'il n'a jamais réellement voulu, qu'il a accepté de garder pour lui faire plaisir à elle. alors quand les pleurs lui tapaient trop sur le système, ce sont les coups qui sont partis tous seuls. déferlement de rage, de haine, de chagrin, de frsutration, sur le corps fragile d'un petit garçon perdu ; qui n'a jamais compris pourquoi tous les enfants à l'école ont une maman sauf lui, des parents qui viennent les chercher sauf lui, des activités, des loisirs, des passions, des amis ; sauf lui. lui qui s'éduque et s'élève tout seul, lui qui ne va à l'école que pour fuir cette maison.

les années passent et le paternel s'épuise sous les coups. il sombre dans l'alcool, ne dit plus un mot à son lardon, ne vérifie plus ses résultats, sa santé ou même s'il est encore en vie ; ne lui laissant que de vagues restes de repas en se disant qu'il doit bien les bouffer puisqu'ils disparaissent. à moins que ce soit des rats. au fond, pas tant de différence.

puis la puberté arrive, les hormones suivent et les regards se font plus curieux. c'est à ses seize printemps qu'il est surpris à observer avec un peu trop d'insistance l'un des garçons les plus populaires de sa classe ; autant dire que ça ne passe pas tellement. puisque ce pays est pourri jusqu'à l'os, lui et tous ses citoyens qui croient encore qu'un mec qui en reluque un autre est soit un alien, soit un psycopathe, soit un malade mental. alors oui ils le charient ; puis ils le bousculent. puis ils lui demandent de l'argent. et puis quand il n'en donne pas, ils le frappent. et quand ça ne suffit pas, c'est à son mental qu'ils s'attaquent. et les rires, et les rumeurs, et bientôt toute la classe, puis tout le lycée le sait. et tous participent. jusqu'au point fatidique. celui qu"il a regardé, là, il se dit que ça lui ferait plaisir peut-être, qu'il lui accorde cette faveur ; alors la violence. l'obligation. alors la déchirure. il se sent brisé en deux lorsque l'intrusion se fait, le faisaint hurler de douleur, pleurer, implorer d'arrêter, appeler à l'aide ; mais personne ne vient. ce jour là il a compris, définitivement, que personne ne viendrait jamais.

comment on surmonte un tel traumatisme ?
en fuyant, déjà. en n'allant plus là où tout s'est passé.
en s'enfermant dans le déni, aussi.
en associant ce qu'on a vécu à la normalité.
puis en plongeant dans l'ombre, en basculant dans la cigarette, l'alcool, la drogue. tout ce qui permet d'oublier.
et surtout, en ne se fiant plus qu'à soi même.

il suffit d'un seul jour pour briser une vie ; d'un rien, d'un seul regard.  
c'est la leçon qu'il a apprise, la leçon qui l'a forgé.
la leçon qui a fait de lui un être abandonné, renoncé.
l'espoir n'est plus, mais qui sait ;
peut-être qu'un jour quelque chose - ou quelqu'un,
viendra le raviver...




parait que c'est rare d'être gaucher ; paraît aussi que c'est abominablement chiant. au quotidien, pas être foutu d'utiliser des ciseaux ou devoir se tordre dans tous les sens pour écrire trois mots. l'écriture illisible, le cerveau qui fonctionne à l'envers d'après ce que les plus cons disent. pourtant il a malgré tout réussi à développer un don incontestable pour le dessin ; talent sorti d'on sait pas où tant il paraît invraisemblable. aptitude dont il a fait son métier ; et qui lui a permis de se tatouer lui-même la totalité de son avant-bras droit. peau peinte de toute sorte de symboles, emblèmes primordiaux ou simples essais, bras comme page de brouillon où tout se chevauche et tout est chaotique. reflet de sa vie, en somme.


douceur et complicité sont des intrus du vocabulaire. les rapports ne sont jamais beaux, jamais tendres, jamais complices ; il est brutal, distant, animal. il ne sait pas ce qu'est le partage passionné de deux âmes qui s'aiment et se chérissent ; car lui tout ce qu'il recherche, c'est son plaisir à lui. lui dont la première expérience a été trop brutale, douloureuse, traumatisante ; lui qui n'a jamais su creuser plus profond, lui à qui on n'a jamais appris la beauté de la chair liée par passion, par tendresse, par soucis de l'autre, par amour. lui qui expie son traumatisme par les coups de reins secs et intrusifs, par les verres et par la poudre blanche ; lui dont la vie n'est jamais stable, l'humeur toujours emprunte de colère et l'aura toujours destructice. on dira qu'il brise tout ce qu'il touche. alors non, il ne s'attache pas.


double vie, doubles toits ; deux lieux dans lesquels dormir et pourtant aucun d'eux n'est bien luxueux. d'un côté, la gratuité ; chez son père, là où ça empeste l'alcool, là où on peut pas faire un pas sans donner un coup de pied dans un cadavre de bouteille vidée depuis on sait pas quand, là où les réprimandes et les coups peuvent pleuvoir, même après toutes ces années. de l'autre, la tranquillité ; personne pour l'emmerder à part lui-même, dans ce studio miteux situé au dessus du salon, foyer austère et sombre, insalubre, loué une bouchée de pain à la proprio de l'établissement. choix cornélien, dilemme entre peste et choléra, il choisira plutôt en fonction de ses humeurs, du degré de sa patience ou du besoin de confort plus ou moins avancé. il pourrait bien chercher autre chose, oui ; si seulement il en avait quelque chose à foutre.


un jour s'en va, un autre passe ; les pas s'enchainent, un pied devant l'autre, sans pour autant avoir de destination. aucun objectif pour une vie vécue au jour le jour ; minute par minute. point d'avenir pour ce gamin-là, lui qui ne croit plus en rien, lui qui ne survit que par la fuite de ses démons, par l'expiation de ses péchés qu'il continue pourtant à multiplier. il a ce profond désintérêt pour sa vie, ne cherche qu'à s'amuser dans la mesure du possible ; car tout est bien plus simple lorsqu'on fuit et lorsqu'on rit, que risquer de se confronter à soi-même. alors il a abandonné l'idée de se tirer de ce merdier. il reste désinvolte et détaché, frivole, ne se préoccupe de rien ; et surtout pas de lui-même, qu'il a depuis bien longtemps renoncé à sauver.